ROCK HARD #44 - Mai 2005

   

 

Propos recueillis par Bruno Bages
Entretien téléphonique réalisé le 03 mars 2005

ELVARON
Dragon Noir

Membre incontournable de la scène metal lorraine, Elvaron persiste et signe dans un registre heavy progressif, sombre et épique. Son dernier album en date, The Buried Crown , dévoile tout de même quelques nouveautés, dont la principale est l'apport d'une section de musique classique.

Rock Hard : Peux-tu brièvement revenir sur les récentes modifications de line-up au sein d'Elvaron ?
Matthieu Morand :
Notre précédent batteur ayant eu des problèmes de disponibilité et de motivation, nous l'avons remplacé, courant 2003, par Fred Renaut, qui est intermittent du spectacle. Le second départ fut celui de « Seek », le clavier, qui était aussi le deuxième compositeur du groupe. Il nous a quittés à la sortie de The Five Shires , seconde version, ce qui nous a empêché de promouvoir le disque sur scène. Ce qui est un problème récurrent pour Elvaron. Après plusieurs mois de recherches, nous avons rencontré Lindsay, une jeune pianiste du conservatoire de Nancy que nous avons décidé d'intégrer au groupe. Elle a dû travailler pour s'adapter aux sonorités metal du synthé, qui sont assez différentes de celles d'un piano classique. Elle a aussi effectué des essais en tant que chanteuse, mais sa voix ne convenait pas au registre d'Elvaron. Je continue donc d'assurer les vocaux.

Revenons rapidement sur la publication de la deuxième version de The Five Shires . Quelle mouche vous a piqués pour réenregistrer intégralement un album que vous aviez réalisé deux ans auparavant ?
Nous n'étions pas satisfaits de la production de la version originale. Et puis, la musique reste avant tout un passe-temps et une passion. Le première version étant épuisée, nous avons décidé de tout refaire en améliorant les points perfectibles, et en y ajoutant un mini-CD bonus. Un simple repressage ne nous aurait pas semblé très honnête. Par contre, nous avons été surpris de constater que les chroniques des magazines avaient été plus favorables à la mouture originale !

Parlons à présent du nouvel opus qui, comme prévu, est un concept teinté d'heroic fantasy…
Tout à fait. L'histoire s'inspire d'une nouvelle, L'alliance du Dragon Noir , qui a été écrite par « Seek », notre ancien clavier. Nos concepts précédents s'inspiraient de personnages empruntés au jeu de rôles Donjons & Dragons. Mais nous avons voulu nous prévenir d'éventuels problèmes de droits : c'est pourquoi nous avons, cette fois-ci, opté pour une histoire totalement originale. Nous sommes donc passés du Dragonland [NdMatt : Dragonlance] au Ravenland créé par « Seek ».

Suite au succès mondial de la trilogie Le Seigneur Des Anneaux , et du matraquage médiatique et du merchandising qui en découlent, l'heroic fantasy ne risque-t-elle pas de lasser le public ?
Oui, tu as raison, et nous en sommes très conscients. J'ai commencé à composer et à écrire pour Elvaron dès 1993. A cette époque, l'heroic fantasy ne séduisait que des initiés. Ce n'est qu'ensuite que le grand public s'y est intéressé, via la trilogie cinématographique de Peter Jackson. Mais à mon niveau, cet univers n'a été qu'un simple prétexte pour élaborer des textes pouvant coller à la musique. Je ne pense pas être un très bon parolier, et je me vois mal écrire des choses sur des problèmes de société ou autres. Je ne crois pas que notre rôle soit de véhiculer des messages. J'ai du mal à imaginer un album entier autrement que sous une forme conceptuelle. Nous discutons actuellement de la prochaine direction à prendre : continuer dans cette même veine imaginaire ou changer radicalement de registre. Nos deux dernières pochettes sont moins ouvertement axées sur l'heroic fantasy. Il s'agit sans doute d'un premier signe.

Nous découvrons, dans ce nouvel album, des passages néo-classiques. Comment avez-vous recruté ces musiciens ?
Pour les parties classiques du disque, nous avons fait appel à une douzaine d'intervenants. Tous viennent de la faculté de musicologie de Nancy, un établissement que Nicolas [Colnot/basse] et moi connaissons bien pour y avoir étudié durant cinq ans. Nous avions, à cette époque, créé des liens. La très grande majorité des gens que je côtoie sont des musiciens et, parmi eux, beaucoup évoluent dans la musique classique. Ma future femme, qui apparaît sur l'album, joue du basson, voilà pour le côté « people ». Tous les musiciens qui ont participé à The Buried Crown ont déjà joué ensemble en orchestre. Par contre, ce fut là leur première expérience studio. Tous me connaissant depuis plusieurs années, il n'a pas été très difficile de les convaincre. Chaque musicien a, bien sûr, enregistré séparément. Au final, nous sommes plus que ravis du résultat. Les instruments acoustiques donnent une dimension supplémentaire à notre musique. Cela n'a plus rien à voir avec les samples.

Vous avez tout de même enregistré tout cela à la maison ?
Oui, car nous avons les moyens techniques qui nous permettent de nous produire nous-mêmes. Par contre, le mastering qui est, à mon sens, une étape-clé de l'élaboration d'un disque, a été fait par le studio parisien La Source . Les tarifs y sont élevés, mais la qualité est là. Le mixage a été confié à Christophe Heyrend, qui a réalisé un travail de fou. Pour pouvoir rivaliser avec des productions qui disposent de plus de moyens financiers, nous sommes obligés de passer trois ou quatre fois plus de temps sur le mixage. Je ne suis pas forcément d'accord avec le fait d'accorder plus d'attention à la prise de son qu'à la musique elle-même, mais c'est pourtant la tendance actuelle plus ou moins imposée par les gros labels. Nous sommes obligés de rentrer dans le jeu.

A une époque, il était question qu'Elvaron engage un chanteur. Ce projet n'a donc pas abouti ?
Hélas, non. A plusieurs reprises, je me suis fait « taillé » pour mes performances de chanteur, mais les gens oublient que j'occupe un peu ce poste par défaut. Elvaron n'ayant jamais réussi à trouver le frontman idéal, je me suis résigné à continuer d'assurer le chant, mais en me perfectionnant le plus possible. Les voix représentent donc une grosse part du travail fourni sur ce nouvel album. Et je pense qu'Elvaron se démarque justement de la plupart des autres formations progressives en ayant recours à un chant plus agressif.

Parlons à présent des concerts : Elvaron tourne-t-il suffisamment à ton goût ?
Non, et il existe plusieurs explications à ce problème. Les musiciens d'Elvaron ont tous des boulots ou des plages de disponibilité différentes. Nicolas est en banlieue parisienne et ne rentre que le week-end. Fred [Renaut/batterie] assure ses cachets en jouant dans les bals du samedi soir. Nous n'avons donc, en définitive, que le seul créneau du vendredi soir pour donner des concerts. Par conséquent, nous galérons à mort pour trouver des dates. Sans statut professionnel et sans une grosse structure derrière nous, nous sommes condamnés à jouer dans des bars. Ou dans des grosses salles, mais à titre gratuit. Je pense que nous avons dépassé le stade d'aller écumer les bistrots et, de toute façon, notre musique ne se prête pas à ce genre de lieu où l'acoustique est déplorable. D'un autre côté, nous ne pouvons pas accepter de jouer gratuitement car Fred à besoin de cachets pour justifier son statut d'intermittent. Comme tu le vois, la situation est assez délicate.

Pourtant, il existe un très bon public metal dans l'Est, non ?
Un très bon public, oui, mais qui est surtout branché metal extrême. Elvaron produisant une musique différente, nous sommes clairement mis à l'écart de la scène nancéienne depuis quelques temps. Le fait de sortir du Music Academy Institute nous a encore plus desservis. N'étant pas Lorrains d'origine, j'ai un peu le sentiment que nous sommes pris de haut par les groupes locaux. La scène lorraine est un microcosme au sein de laquelle tout le monde se connaît : aucun cadeau n'est fait à un musicien venant de l'extérieur. Du coup, lorsque quelqu'un vient me dire que le metal français « est une grande famille », cela me fait doucement rigoler. Si nous avons réussit à décrocher des premières parties intéressantes, à savoir Iron Maiden, Blaze et Soul Doctor, nous le devons à un coup de piston ponctuel du responsable de la programmation des salles en question. Je travaille actuellement sur un projet qui va rassembler des musiciens venus de divers groupes (Scarve, Carcariass, Mortuary, Dying Tears, entre autres), et j'ai eu quelques confirmations relatives à cette mise en quarantaine d'Elvaron par des personnes de la scène locale. J'espère que ce nouveau disque nous permettra de débloquer cette situation. Nous préparons actuellement une mini-tournée promotionnelle sur les quatre départements lorrains. Nous ne baissons donc pas les bras, loin de là.

Comment vois-tu l'évolution musicale d'Elvaron ?
Nous avons ébauché deux titres du prochain album. Dont une composition assez longue qui permettra une alternance de voix masculine et féminine, assurées par Lindsay [Messaoudi/claviers] et moi-même. Je pense que ce disque sera résolument plus progressif. L'autre projet, que j'évoquais plus tôt, est la mise en chantier d'un album conceptuel, au sein duquel évolueront divers musiciens français. Je travaille dessus depuis un an et demi, en compagnie d'Alain, l'ex-chanteur de Scarve. Ce projet risque de rassembler du beau monde, mais je ne préfère pas en dire plus pour l'instant. Vous risquez d'être surpris par le style !